Il y a longtemps que les marques commerciales sont conscientes de l'importance de manager les signes de leur expression visuelle, à commencer par leur logo. Quelles opportunités aujourd'hui pour une démarche similaire chez les institutions culturelles, et notamment les musées?
Par Gwenaëlle de Kerret
Première publication de cet article le 16/09/2016 dans le Journal des Arts.
Parmi les nombreux sigles qui peuplent notre environnement, les logos de musées sont de ceux que le grand public mémorise le moins. Une étude réalisée en 2014 auprès des Français révèle que même les visiteurs peuvent s’avérer surpris lorsqu’on leur présente celui du Louvre, du musée d’Orsay ou encore du Château de Versailles. Au contraire, la façade et certains éléments de l’architecture ou des collections sont très présents à l’esprit.
Pourtant, les musées investissent de plus en plus la dimension graphique de leur identité visuelle. Tandis que les années 1990 ont vu l’avènement d’architectures spectaculaires comme celle du Guggenheim Bilbao, les dernières années sont marquées par un investissement inédit vis-à-vis du design graphique, depuis le logo et jusqu’à la signalétique. La réouverture à Paris du musée Picasso et du musée de l’Homme et à New York celle du Whitney Museum, ont ainsi été appuyées par l’adoption d’une nouvelle signature graphique, pensée en cohérence avec la collection et le lieu. Le Whitney a notamment opté pour un « responsive W » qui organise l’ensemble de ses prises de parole et leur confère un aspect dynamique : selon l’environnement, le W se contracte ou se développe.
Le nouveau logo du MET de New York
En dépit de l’intérêt pour des signatures fortes, l’histoire des identités visuelles de musées est souvent obscure et contradictoire. Celle du Metropolitan Museum est à ce titre étonnante. La plus grande institution patrimoniale des États-Unis vient d’adopter une nouvelle identité graphique, très décriée dans les milieux de la culture et du design. Le logo abandonné constituait en effet un marqueur historique : créé à partir d’une fonte typographique inventée selon certaines sources par Léonard de Vinci, et utilisé depuis les années 1910, il était l’une des signatures graphiques les plus anciennes des musées. Mais des recherches dans les archives révèlent que lui-même avait progressivement effacé un autre signe identitaire : un sceau, auquel les éditions du musée ont eu recours pendant presque 80 ans, jusqu’en 1938. Il représente une Amérindienne tenant dans ses mains un vase et est décrit dans certains documents comme « l’Amérique examinant un vase grec ». Bien que son origine reste obscure, ce sceau constitue un témoignage unique et oublié de la conception patrimoniale du musée, dans les premiers temps de son histoire.
A l’heure d’une concurrence accrue, renforcer l’identité des musées et leur permettre de se différencier devient crucial. Il y a 10 ans, le rapport Lévy-Jouyet sur le patrimoine immatériel préconisait déjà de développer et protéger ces identités. L’histoire des institutions révèlent d’ailleurs que les signes graphiques et spatiaux constituent des gages de cohésion au sein de l’organisation muséale. Et les études de publics démontrent que ces signes pourraient devenir des outils pour optimiser l’identification et la présence à l’esprit du musée chez le public.
Une méthode pour valoriser et piloter l’identité muséale
Dans cette perspective, trois pistes se dessinent aujourd’hui pour valoriser l’identité visuelle des institutions. La première est la reconnaissance de la valeur historique et esthétique des signes visuels, souvent créés par des graphistes et architectes d’envergure. Il est temps que les musées documentent l’histoire de leur identité et développent une conception artistique de ces signes.
La deuxième piste concerne la conception de l’identité. Lorsqu’elles sont façonnées de manière concertée, la stratégie de positionnement, l’identité architecturale et l’expression graphique du musée favorisent une expérience cohérente. L’identité spécifique du musée est lisible et une charge émotionnelle se met en place, intensifiant la relation du visiteur au musée.
Enfin, l’identité muséale doit faire l’objet d’un management, à l’instar d’une marque. Il existe dans certains musées un décalage entre l’identité conçue de (c’est-à-dire, l’intention de positionnement de l’institution) et l’imaginaire en réception : les signes émis font l’objet d’une lecture inattendue par les publics, nourrissant une image dont l’institution est inconsciente. Les musées gagneraient à étudier leur notoriété et identifier les signes les plus porteurs et les évocations à ajuster. Les études qualitatives de réception et l’expertise sémiologique s’avèrent, dans cette optique, des outils opérants pour nourrir la réflexion stratégique des institutions.
Gwenaëlle de Kerret a consacré sa thèse de doctorat aux identités visuelles de musées, en France et aux Etats-Unis.
Cette thèse a été publiée en juin 2016 à l'Université Paris 8.