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Château de Montsoreau : la naissance d’un musée, sous les auspices de la co-création

Le Château de Montsoreau a rouvert en avril 2016, avec l’accrochage de la collection Philippe Méaille. Le lieu est désormais consacré à l’art contemporain. Pour définir la nouvelle identité du château, un accompagnement co-créatif a été mis en œuvre. Quelques semaines après le lever de rideau, comment se manifeste le lieu ? Regard sur les signes déjà visibles du changement ; et retour sur le processus qui y a contribué.

Sur la route longeant la Loire entre Saumur et Tours, un nouveau signe émerge peu à peu de la signalétique. Pour sa réouverture, le château de Montsoreau a adopté un nouveau logo, icône de la métamorphose qui fait de ce château historique, un lieu consacré à l’art contemporain. Art & Language, collectif d’artistes conceptuels, est désormais à l’honneur au château, grâce à l’initiative du collectionneur Philippe Méaille.

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Signifier la nouvelle identité

Prêtons d’abord attention à ce logo. Son élément iconique, a priori abstrait, évoque plusieurs caractères différenciants du château de Montsoreau, parmi les autres châteaux de Loire. Il signifie d’abord son implantation géographique, à la confluence de la Loire et de la Vienne : les lignes blanches esquissées par les aplats noirs évoquent cet emplacement exceptionnel, surplombant 40km de paysage de Loire. Le logo renvoie aussi de manière métonymique à l’architecture du château; un regard attentif remarquera les lignes asymétriques que dessine l’architecture de l'une des tours. Enfin et surtout, l’association des trois aplats manifeste le nouveau positionnement qui a été défini pour le château : un « lieu puzzle », réunissant architecture, Histoire, art et loisirs et offrant aux visiteurs des activités à choisir « à la carte ».
Le logo est le fruit d’un travail créatif réalisé avec plusieurs étudiants de l’école des Beaux-Arts du Mans. Il est aussi l’un des aboutissements du processus mené pendant plusieurs mois avec le collectionneur Philippe Méaille, les artistes, le département du Maine et Loire et l’école des Beaux-Arts du Mans. Ce processus a conduit à définir l’identité et la stratégie du nouveau château-musée.

Une démarche de Design Thinking

La conception de l’identité du nouveau Château de Montsoreau devait relever deux défis : faire le lien entre un lieu d’histoire et une collection d’art contemporain ; et continuer d’attirer les touristes tout en séduisant les amateurs de musées d’art. Il s’agissait également de rassurer sur une collection parmi les plus complexes de l’histoire de l’art, en signifiant qu’au-delà de leur aspect intellectuel, les œuvres d’Art & Language proposent une interaction inédite avec le spectateur.

La démarche s’est inspirée du Design Thinking. De l’exploration sémiologique au planning stratégique, plusieurs méthodes ont été déployées pour comprendre l’environnement et définir les enjeux de la future identité. Plus globalement, le principe était celui d’une co-création. Le positionnement a été conçu de manière collaborative, en faisant intervenir tous les acteurs concernés par le musée : les commanditaires bien sûr (collectionneur, département), mais aussi les artistes, des spécialistes de l’art et le grand public.

Conformément aux principes du Design Thinking, la méthode reposait sur la pluridisciplinarité et un processus « agile » alternant les phases d’analyse, de créativité et de conceptualisation. La démarche, encore peu commune chez les entreprises et les marques, est exceptionnelle pour une institution culturelle. Dans les musées et les centres d’art, la stratégie et les interfaces de communication se conçoivent généralement « en chambre ». L’interrogation des publics ne se fait que de manière ponctuelle et en dernière instance.

Les étapes du processus
Le processus de co-création de la nouvelle identité a consisté en plusieurs étapes, mises en place entre août 2015 et mars 2016 :

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La première phase, de Diagnostic, visait à comprendre les représentations et attentes du public vis-à-vis du château ; et à décrypter l’environnement concurrentiel. La deuxième phase, d’Idéation, consistait à susciter un maximum d’idées. Des groupes de discussion puis deux workshops ont été organisés à l’école des Beaux-Arts du Mans. Les participants ont travaillé sur les différents versants du projet, depuis la communication visuelle jusqu’aux partis-pris muséographiques.

L’ensemble des travaux ont ensuite fait l’objet d’un décryptage sémiologique, pour déterminer les directions stratégiques possibles. Trois scénarii identitaires ont alors été envisagés :

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C’est le scenario « Lieu puzzle, composite » qui a finalement été choisi. Il est apparu comme le plus à même de valoriser le projet, et il reflétait l’intérêt des œuvres d’Art & Language, fondées sur le jeu, la liberté et l’interaction.
La dernière étape, de Déclinaison, était l’aboutissement de la démarche. Le scenario a été décliné en une « plateforme de marque ». Les principaux éléments stratégiques ont été définis : une promesse originale ; une « personnalité de marque » et des valeurs ; une stratégie de ciblage, déclinant les bénéfices de la visite, et un territoire d’expression. C’est sur cette base que le cahier des charges de l’identité visuelle et celui de la médiation ont ensuite été construits.

Un modèle à suivre ?

Le projet curatorial de Philippe Méaille pour le château de Montsoreau est ambitieux. La démarche co-créative déployée l’était autant. Elle renouvelle en quelque sorte l’utopie du « musée imaginaire » d’André Malraux, capable de réinventer la relation à l’art mais aussi de repenser le lieu culturel comme un espace d’interaction sociale. En sollicitant toute la chaine humaine du projet, depuis le collectionneur jusqu’au grand public, le processus de co-création a permis de construire non pas un produit culturel, mais un en-commun avec le public.

Reste à espérer que l’initiative soit reproduite, en d’autres lieux. Et à souhaiter le meilleur au Château de Montsoreau, dans sa nouvelle aventure.

Le témoignage de Philippe Méaille, collectionneur et responsable du projet

« L’accompagnement (...) a grandement contribué à la conduite et la finalisation du projet. Il a permis de nourrir notre réflexion d’une connaissance des publics concernés, de leurs besoins et attentes. Par ailleurs, ce travail a facilité la conceptualisation du projet culturel et de l’identité visuelle »

Gwenaëlle de Kerret est Sémiologue et Directrice d’études. Après 11 ans d'exercice en instituts d’études (BVA, Harris Interactive), elle est aujourd’hui consultante et accompagne les organisations dans l’évaluation de leur interface avec les publics et dans la conduite du changement. Son expertise se nourrit d’une large expérience au sein d’entreprises et d’organismes publics, et d’une connaissance approfondie des institutions culturelles. Gwenaëlle de Kerret a achevé en 2016 une thèse en sciences de l’information et de la communication, consacrée à l’identité visuelle de musées en France et aux États-Unis.